Publié le 15 mars 2024

L’âme photographique de Montréal ne se trouve pas dans ses monuments, mais dans les détails que les touristes ignorent : sa lumière unique, ses textures brutes et les histoires que racontent ses murs.

  • La lumière de l’heure bleue offre un contraste et une ambiance que le coucher de soleil ne peut égaler, surtout en hiver.
  • Les reflets dans les flaques d’eau, même la « gadoue » du printemps, sont des portails vers des compositions abstraites et authentiques du Vieux-Montréal.

Recommandation : Cessez de chasser les icônes et commencez à lire l’ADN urbain de la ville. Votre appareil photo est l’outil pour décoder ses récits cachés, de l’histoire des escaliers extérieurs à la poésie d’une ruelle.

Vous rentrez d’une journée de photographie à Montréal, vous déchargez votre carte mémoire et le constat est sans appel : vos photos de la basilique Notre-Dame, du panorama depuis le Mont-Royal ou du pont Jacques-Cartier ressemblent à s’y méprendre à des milliers d’autres. Cette frustration, tout photographe amateur qui souhaite dépasser la carte postale la connaît. On se concentre sur les sujets évidents, en espérant qu’un angle légèrement différent suffira à créer l’originalité. On suit les conseils génériques, on cherche la fameuse « golden hour », et pourtant, l’essence de la ville nous échappe.

Le problème n’est pas votre matériel ni votre technique. C’est votre approche. La véritable âme de Montréal ne se révèle pas dans ses icônes polies, mais dans son ADN urbain, un mélange unique de textures, de lumières et de récits architecturaux. Mais si la clé n’était pas de mieux photographier les monuments, mais plutôt de savoir lire et capturer ce qui rend la ville unique ? Penser en termes de contraste lumineux, de mémoire des murs et de poésie du quotidien est la véritable voie vers des images qui ont une âme.

Cet article n’est pas une autre liste de lieux à visiter. C’est un changement de perspective. En tant que photographe d’architecture basé à Montréal, je vais vous partager les secrets pour voir la ville différemment. Nous explorerons comment la lumière de l’heure bleue surpasse le coucher de soleil, comment la gadoue du printemps devient votre meilleure alliée dans le Vieux-Montréal, et comment chaque escalier extérieur est une page d’histoire. Préparez-vous à délaisser les clichés pour enfin capturer l’esprit véritable de Montréal.

Pour vous guider dans cette exploration photographique, nous allons décortiquer ensemble des approches concrètes et des secrets d’initié. Ce guide est structuré pour vous faire passer de la technique à la narration visuelle, afin de transformer votre regard sur la ville.

Pourquoi l’heure bleue à Montréal est plus photogénique que le coucher de soleil ?

La course au coucher de soleil est un réflexe pour beaucoup de photographes. Pourtant, à Montréal, la véritable magie opère juste après, durant l’heure bleue. Ce court intervalle où le ciel se pare d’un bleu profond et saturé offre un avantage que la « golden hour » ne peut égaler : le contraste sublime entre la lumière froide du ciel et la lueur chaude des éclairages urbains. Les lampadaires au sodium du Vieux-Port, les enseignes au néon du Plateau et les fenêtres illuminées se détachent alors avec une intensité dramatique, créant une atmosphère cinématographique.

Cette période est particulièrement puissante en hiver. Alors que l’heure dorée peut sembler pâle et brève, l’heure bleue hivernale, vers 16h30, coïncide avec l’effervescence de la fin de journée. Imaginez la scène : le ciel d’un bleu cobalt, la vapeur qui s’échappe des bouches de métro comme des geysers urbains, et la frénésie des passants enveloppés dans leurs manteaux. En été, l’heure bleue arrive plus tard, vers 21h, et baigne les terrasses animées d’une lumière douce qui prolonge l’intimité du crépuscule. C’est une lumière qui raconte une histoire, celle d’une ville qui ne dort jamais vraiment.

Contrairement au soleil couchant qui peut écraser les détails par sa puissance, l’heure bleue révèle les textures. La lumière ambiante, douce et uniforme, est idéale pour capturer les nuances de la brique, de la pierre grise et de l’asphalte. C’est le moment parfait pour jouer avec les poses longues, transformer les phares de voitures en filets de lumière et donner à l’eau du canal Lachine un aspect soyeux. Vous ne capturez plus un instant, vous peignez avec le temps.

Plan d’action : Votre séance photo à l’heure bleue

  1. Repérage : Arrivez sur votre lieu de prise de vue 30 minutes avant le coucher du soleil. Ne déballez pas tout de suite, mais marchez, identifiez vos compositions, et prévisualisez vos cadres sans l’appareil.
  2. Réglages de base : Passez en mode manuel. Commencez avec une sensibilité basse (ISO 100-200) pour éviter le bruit numérique, et une ouverture moyenne (f/8-f/11) pour une bonne profondeur de champ. Votre variable d’ajustement sera la vitesse d’obturation.
  3. Balance des blancs : Réglez votre balance des blancs sur « Lumière du jour » ou « Soleil ». Cela empêchera l’appareil de « corriger » le bleu et préservera la richesse naturelle des couleurs froides du ciel.
  4. Cherchez le contraste : Votre sujet n’est pas seulement le ciel bleu, mais le dialogue entre ce bleu et les lumières chaudes de la ville. Intégrez des lampadaires, des vitrines ou des feux de circulation dans votre composition.
  5. Exploitez les reflets : Une flaque d’eau, le canal Lachine ou une vitrine deviennent des miroirs qui doublent l’impact du ciel et des lumières, ajoutant une dimension supplémentaire à votre image.

Comment utiliser les reflets des flaques d’eau pour sublimer le Vieux-Montréal ?

Une averse s’abat sur Montréal, et le premier réflexe est de ranger son appareil photo. Grave erreur. La pluie est une bénédiction pour le photographe urbain, surtout dans un quartier aussi texturé que le Vieux-Montréal. Une fois l’averse passée, les rues pavées se transforment en une mosaïque de miroirs liquides. Chaque flaque d’eau devient un cadre dans le cadre, une opportunité de capturer le réel sous un angle abstrait et poétique. Oubliez la photo frontale de la basilique Notre-Dame ; penchez-vous et photographiez son reflet fragmenté dans les pavés humides.

L’esthétique de la « gadoue » montréalaise, ce mélange de neige fondante, de sel et de sable au printemps, est une texture unique au monde. Ces flaques ne sont pas propres et lisses ; elles sont granuleuses, troubles, et racontent l’histoire brute de la fin de l’hiver. Utiliser ces miroirs imparfaits pour refléter les façades historiques crée une tension visuelle fascinante entre la noblesse de l’architecture et la réalité crue du climat. C’est l’ADN de Montréal en une seule image.

Pour accentuer l’effet miroir de l’eau, il est souvent recommandé de travailler avec des poses longues. En effet, les expositions longues de 15-20 secondes permettent de lisser la surface de l’eau, même dans de petites flaques, créant ainsi un reflet plus net et surréaliste. C’est une technique particulièrement efficace à l’heure bleue, où les lumières de la ville se peignent sur la surface de l’eau comme sur une toile.

Pour capturer ces scènes, il faut changer de point de vue. Mettez-vous au ras du sol. Utilisez un objectif macro ou rapprochez-vous au maximum pour faire de la flaque votre sujet principal. L’arrière-plan, qu’il s’agisse d’un bâtiment ou d’un passant, devient alors une suggestion floue dans le reflet. Vous ne documentez plus un lieu, vous créez une peinture impressionniste à partir de ses éléments les plus modestes.

Reflets fragmentés de la Basilique Notre-Dame dans les flaques d'eau sur les pavés inégaux de la rue Saint-Paul

Comme on peut le voir, les pavés inégaux brisent le reflet en une composition abstraite, où les couleurs chaudes des lumières se mêlent au bleu du ciel. C’est ici que la photographie transcende la simple reproduction pour devenir interprétation. Cherchez ces juxtapositions de textures : la pierre ancienne, l’eau scintillante, la brique rugueuse. C’est dans ces détails que réside la véritable poésie visuelle du Vieux-Montréal.

Grand angle ou 50mm : quel est le meilleur compagnon pour la photo de rue ?

La question du choix de l’objectif en photographie de rue est un débat sans fin. Faut-il un grand angle pour capturer l’ampleur de la scène ou une focale standard pour s’isoler sur un détail ? La réponse, surtout à Montréal, n’est pas l’un ou l’autre, mais plutôt : quelle histoire voulez-vous raconter ? Chaque focale est un outil narratif avec ses forces et ses faiblesses, particulièrement adaptées à la géographie variée de la ville.

Le grand angle (type 24mm ou 35mm) est l’objectif du contexte. Il excelle pour immerger le spectateur dans la scène. Pensez à la Place des Festivals, où il peut capturer à la fois l’installation lumineuse, l’architecture environnante et la foule. Dans les ruelles étroites du Plateau ou du Mile End, il permet d’exagérer les perspectives des escaliers en colimaçon, créant des lignes de fuite dramatiques. Son inconvénient majeur est la distorsion : si vous êtes trop près d’un sujet humain, vous risquez de le déformer. Il faut donc être au cœur de l’action, ce qui demande une certaine audace.

Le 50mm, souvent appelé « focale standard », offre une perspective très proche de celle de l’œil humain. C’est l’objectif de l’intimité. Il est parfait pour isoler un sujet de son environnement, créant un flou d’arrière-plan (bokeh) qui met en valeur une expression, un geste, une interaction. Imaginez-vous au marché Jean-Talon ou Atwater : le 50mm est idéal pour capturer le portrait d’un marchand, le détail d’un étal de légumes, ou un couple partageant un moment, sans l’agitation visuelle alentour. Il demande de mieux composer, car on ne peut pas tout inclure dans le cadre.

Un tableau peut aider à visualiser ces choix en fonction des scènes montréalaises typiques.

Comparaison des focales pour la photo de rue à Montréal
Focale Avantages Scènes idéales à Montréal Inconvénients
Grand angle (24-35mm) Capture l’immensité, perspective dramatique Place des Festivals, ruelles étroites avec escaliers Distorsion des visages en proche
50mm Vision naturelle, portraits intimes Marchés Jean-Talon/Atwater, scènes de vie isolées Moins de contexte environnemental
85mm ou plus Compression des plans, discrétion Rue Peel avec Mont-Royal en arrière-plan Nécessite plus de recul

L’expérience de terrain montre souvent que la flexibilité est reine. Comme le partage un photographe de rue montréalais sur le blog Duobjectif.ca, l’adaptabilité est essentielle. Certains photographes dédient leur journée à une seule focale pour forcer leur créativité, tandis que d’autres préfèrent la polyvalence d’un zoom.

Pour les photos de proximité, j’utilise un objectif passe-partout, 24-105 mm avec un boîtier plein capteur. Pour les photos plus éloignées, j’utilise une focale de 70-200 mm avec le même boîtier. Je décide le matin quel objectif je vais utiliser et quelquefois je vais changer d’objectif pendant le dîner.

– Photographe de rue montréalais, Duobjectif.ca – Mon expérience de la photo de rue

L’erreur juridique à ne pas commettre en photographiant des inconnus dans le métro

Le métro de Montréal est un formidable terrain de jeu photographique : ses couleurs vives, ses architectures uniques d’une station à l’autre et son flot constant d’humanité offrent des possibilités infinies. Cependant, beaucoup de photographes amateurs s’y aventurent avec une appréhension, voire ignorent complètement les règles, s’exposant à des conflits inutiles. La plus grande erreur n’est pas technique, mais juridique et éthique : méconnaître le droit à l’image et les règlements spécifiques de la Société de transport de Montréal (STM).

Au Québec, le droit à l’image est nuancé. Photographier des personnes dans un lieu public comme le métro est généralement permis à des fins artistiques ou journalistiques. La situation se complique si l’image est utilisée à des fins commerciales (publicité, vente de tirages) ou si elle porte atteinte à la vie privée de la personne. Une personne identifiable photographiée dans une situation dégradante ou intime pourrait légitimement s’y opposer. La clé est le respect et l’intention.

La STM a ses propres règles, qu’il est crucial de connaître. Contrairement à une idée reçue, la photographie y est autorisée, mais sous conditions. Ces règles visent à assurer la sécurité et la fluidité du service. Il est par exemple interdit d’utiliser un trépied, qui pourrait gêner la circulation, ou un flash, qui pourrait distraire les conducteurs ou les usagers. Il est également proscrit de photographier les employés de la STM dans l’exercice de leurs fonctions.

Photographe établissant un contact visuel respectueux avec un passager dans le métro de Montréal

Au-delà du droit strict, l’éthique du photographe de rue est primordiale. L’approche la plus saine est celle du consentement implicite. Un contact visuel, un sourire, un signe de tête approbateur de la part de la personne que vous souhaitez photographier valent souvent mieux qu’une autorisation écrite. Cela transforme une prise de vue potentiellement intrusive en un échange humain. Si quelqu’un vous fait clairement signe de ne pas le photographier, baissez votre appareil et respectez son choix. C’est ce respect qui distingue un bon photographe d’un paparazzi.

Checklist juridique : Photographier dans le métro de la STM

  1. Pas de matériel encombrant : Aucune utilisation de trépied ou de flash n’est autorisée dans les installations du réseau. L’objectif est de ne jamais gêner la circulation des usagers.
  2. Respect des employés : Il est formellement interdit de prendre en photo ou de filmer les employés de la STM en service.
  3. Usage non commercial : Distinguez clairement l’usage artistique (généralement toléré) de l’usage commercial. Pour toute utilisation commerciale, une demande d’autorisation formelle à la STM est requise.
  4. Établir le contact : Privilégiez le consentement implicite. Un sourire et un contact visuel sont vos meilleurs outils pour créer une interaction positive et obtenir une approbation tacite.
  5. Gardez une preuve : Certains agents de sécurité peuvent être trop zélés. Il est conseillé d’avoir sur soi une copie imprimée ou numérique des règlements de la STM pour pouvoir justifier votre démarche en cas de contrôle.

Quand photographier le Stade olympique pour avoir les ombres les plus graphiques ?

Le Stade olympique est un monstre de béton, un défi photographique. Sa taille monumentale et ses courbes organiques peuvent vite donner des images plates et sans âme si on le photographie de manière frontale, en pleine journée. Le secret pour révéler sa puissance graphique ne réside pas dans sa structure elle-même, mais dans son interaction avec le soleil : son ombre portée. Pour obtenir les ombres les plus longues, les plus nettes et les plus spectaculaires, il faut viser les moments où le soleil est le plus bas sur l’horizon.

Le moment par excellence pour cet exercice est le solstice d’hiver. Autour du 21 décembre, le soleil atteint sa position la plus basse dans le ciel de l’hémisphère nord. Toute la journée, il projette des ombres étirées et dramatiques. Imaginez l’ombre de la tour du stade se dessinant comme une aiguille de cadran solaire géant sur l’esplanade enneigée. La lumière froide de l’hiver accentue le caractère brut et minéral du béton, créant un contraste saisissant entre le blanc immaculé de la neige et le gris texturé de l’architecture. C’est à ce moment que le stade devient une sculpture abstraite.

En dehors du solstice, les « golden hours » du matin et du soir, particulièrement en automne et en hiver, sont vos meilleurs alliés. Tôt le matin, la lumière rasante révèle chaque détail de la texture du béton nervuré. En fin de journée, une approche créative consiste à ne pas photographier le stade lui-même, mais son ombre projetée sur l’environnement. Observez comment l’ombre colossale de la tour vient recouvrir les bungalows et les plex du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Capturer cette invasion de l’ombre sur le tissu urbain raconte une histoire de cohabitation entre le gigantisme et le quotidien.

Une autre astuce est d’utiliser les bâtiments environnants comme des éléments de composition. Les façades vitrées du Planétarium Rio Tinto Alcan, par exemple, agissent comme des miroirs déformants. En vous positionnant correctement, vous pouvez capturer des reflets abstraits du stade, fragmentés et déconstruits par l’architecture voisine. Vous ne montrez plus le stade, vous montrez une interprétation de ses formes, une approche bien plus personnelle et artistique.

Pourquoi les escaliers extérieurs sont-ils typiques de Montréal (et pas de Québec) ?

Les escaliers extérieurs en colimaçon ou en zigzag sont sans doute l’un des traits les plus iconiques de l’ADN architectural de Montréal, particulièrement sur le Plateau Mont-Royal. On les photographie pour leur charme pittoresque, mais peu de gens savent qu’ils ne sont pas un simple choix esthétique. Ils sont le résultat d’une histoire sociale et d’une contrainte urbanistique bien précise, une histoire qui explique leur omniprésence à Montréal et leur quasi-absence à Québec.

Leur origine remonte à la fin du 19e siècle, durant une période de forte industrialisation et de croissance démographique à Montréal. Pour loger les familles ouvrières, on construit massivement des « plex » (duplex, triplex). Afin de maximiser les profits locatifs, les propriétaires cherchent à consacrer le plus d’espace intérieur possible aux logements. Une loi de l’époque, visant à améliorer la salubrité en favorisant l’ensoleillement des logements, interdisait de construire des bâtiments occupant toute la surface du lot. Elle imposait une petite cour à l’avant.

La solution ingénieuse des constructeurs fut de déplacer l’élément le plus encombrant – l’escalier menant aux étages supérieurs – à l’extérieur, dans cette cour avant obligatoire. Cela libérait un espace précieux à l’intérieur de chaque logement, le rendant plus grand et donc plus rentable. Cette contrainte économique et légale a ainsi sculpté le visage de la ville. Comme le révèle l’exposition Battre le pavé du Musée McCord Stewart, ces escaliers sont des témoins de l’expérience de la vie urbaine montréalaise, nés d’une nécessité pratique avant de devenir un symbole esthétique.

Pourquoi ne les voit-on pas à Québec ? La topographie et l’histoire de la vieille capitale sont différentes. Son urbanisme plus ancien, hérité du régime français, est plus dense et ses bâtiments en pierre ne se prêtaient pas à ce type de modification. De plus, les fortes chutes de neige et le gel rendaient les escaliers extérieurs encore moins pratiques dans ses rues en pente. Photographier un escalier montréalais, c’est donc capturer bien plus qu’un élément décoratif. C’est documenter un chapitre de l’histoire sociale et économique de la ville. Au fil des saisons, cet escalier raconte des histoires différentes : les déménagements chaotiques du 1er juillet en été, les citrouilles d’Halloween en automne, ou les défis du déneigement en hiver, avec les guirlandes de Noël parfois prises dans la glace.

Quand photographier les murales du Boulevard Saint-Laurent pour éviter les voitures garées ?

Le boulevard Saint-Laurent, la « Main » de Montréal, est une galerie d’art à ciel ouvert. Grâce au festival MURAL et à des décennies de culture street art, ses murs sont couverts d’œuvres spectaculaires. Mais pour tout photographe, un ennemi juré se dresse entre l’objectif et la murale : la voiture garée. Capturer une œuvre dans son intégralité, sans qu’un capot ou un toit ne vienne amputer la composition, relève souvent du parcours du combattant. La solution ne tient pas à la chance, mais à une stratégie de timing et d’approche.

Le moment idéal, le Graal du photographe de murales, est sans conteste le dimanche matin, très tôt. Entre 7h et 9h, le boulevard est souvent désert. Les fêtards de la veille sont rentrés, les commerces ne sont pas encore ouverts, et la circulation est minimale. La lumière matinale, douce et latérale, fait ressortir les couleurs et les textures des œuvres sans créer de reflets agressifs. C’est une fenêtre de tir de deux heures où la ville vous appartient.

Une autre opportunité en or se présente une fois par an : pendant le festival MURAL lui-même, en juin. Durant l’événement, plusieurs sections du boulevard sont piétonnisées. C’est l’occasion non seulement de photographier les œuvres existantes sans aucune obstruction automobile, mais aussi de capturer les artistes en pleine création. Documenter le processus, avec les nacelles, les aérosols et la concentration de l’artiste, ajoute une dimension narrative et humaine à vos photos.

Mais que faire si vous ne pouvez pas vous libérer un dimanche matin ou en juin ? Il faut alors faire de la contrainte une opportunité créative. Au lieu de pester contre les voitures, utilisez-les ! Le capot lustré d’une voiture fraîchement lavée peut devenir un miroir pour un reflet déformé et créatif de la murale. Un rétroviseur peut servir de cadre miniature. Vous pouvez aussi changer radicalement d’angle : explorez les ruelles adjacentes. Parfois, un point de vue depuis une ruelle perpendiculaire permet de contourner les obstacles et d’obtenir une perspective unique, en compressant les plans avec un téléobjectif.

La patience est aussi une vertu, comme en témoigne le photographe Martin Tremblay dans un article de La Presse. Parfois, il faut simplement attendre. L’attente fait partie intégrante du processus de la photographie de rue.

J’ai attendu longtemps devant cette scène sous le pont ferroviaire de la rue William, dans Griffintown.

– Martin Tremblay, La Presse – La magie de la photographie urbaine

À retenir

  • L’essence photographique de Montréal réside dans son « ADN urbain », pas seulement dans ses monuments.
  • La lumière de l’heure bleue, surtout en hiver, crée un contraste entre le ciel froid et les lumières chaudes que le coucher de soleil ne peut égaler.
  • Les escaliers extérieurs ne sont pas un choix esthétique mais le résultat d’une loi d’urbanisme du 19e siècle visant à maximiser l’espace locatif intérieur.

Comment décoder l’histoire de Montréal à travers ses façades sans guide touristique ?

Maintenant que nous avons exploré des techniques et des moments spécifiques, l’étape finale est d’assembler ces pièces pour transformer votre regard. Photographier l’essence de Montréal, c’est apprendre à lire la ville comme un palimpseste, un manuscrit où les couches d’histoire se superposent et restent visibles. Votre appareil photo n’est plus un simple outil de capture, il devient votre instrument pour décoder cet ADN architectural et social. Chaque façade est une page, chaque ruelle un chapitre.

Commencez par observer les matériaux. Le Vieux-Montréal vous parle de la Nouvelle-France avec sa pierre grise de taille. Le Plateau et le Mile End racontent l’ère industrielle avec leur brique rouge et leurs duplex/triplex conçus pour la classe ouvrière. Les quartiers plus récents comme Griffintown juxtaposent brutalement ces vestiges industriels avec le verre et l’acier des condos modernes. Ne photographiez pas un bâtiment, photographiez ce dialogue, voire ce choc, entre les époques. Cadrez une vieille usine de briques reflétée dans la façade vitrée d’une tour de bureaux.

Apprenez à reconnaître les « cicatrices » urbaines. Une porte murée, un « mur aveugle » couvert d’une immense murale, l’ombre d’un bâtiment détruit encore visible sur le mur voisin… Ce sont les fantômes de la ville. Ces imperfections sont infiniment plus riches en histoires qu’une façade parfaitement restaurée. Elles témoignent de la vie, de la destruction et de la reconstruction qui sont le propre de toute métropole. Votre rôle de photographe est de donner une voix à ces silences, de rendre visible ce que le passant pressé ne voit plus.

En synthèse, votre projet photographique à Montréal devient une quête de sens. L’heure bleue n’est plus juste un joli moment, c’est l’instant qui révèle le contraste entre l’ancien et le nouveau. Les escaliers ne sont plus de simples structures, ce sont des symboles de l’ingéniosité populaire face à la contrainte économique. Une flaque d’eau n’est plus un obstacle, c’est un portail vers une vision impressionniste. En adoptant cet état d’esprit, vous ne ferez plus jamais la même photo que tout le monde, car vous ne photographierez plus des lieux, mais des récits.

Votre prochaine sortie photo n’est plus une chasse aux images, mais une exploration. Prenez votre appareil, sortez, et allez lire les murs de Montréal. Chaque cliché sera alors une découverte, pour vous comme pour ceux qui regarderont vos photos.

Rédigé par Jean-Sébastien Vachon, Architecte membre de l'OAQ et historien amateur passionné par le patrimoine bâti montréalais, cumulant 20 ans d'analyse urbaine. Il se spécialise dans la rénovation résidentielle et l'histoire sociale des quartiers centraux comme Rosemont et Hochelaga.